Je pense parler au nom de beaucoup d’anciennes victimes d’abus en disant que nous avons a minima eu une excellente occasion de développer des problèmes d’abandon.
Que nous expérimentions une peur panique d’être abandonné·e·s ou qu’à l’inverse nous larguions les amarres en un instant au moindre signe que ça pourrait recommencer, laissant là bagages, plantes vertes, conjoint·e·s et enfants et même collections de théières pour fuir au plus vite, j’entends beaucoup d’(ex-)enfants battu·e·s, d’(ex-)victimes de relations hétérosexuelles, d’(ex-)souffre-douleurs dire que les fins de relations c’est compliqué.
Souvent parce que des fins de relations au demeurant naturelles ont été changées en armes par nos abuseureuses1. Combien de Tu vois, telle personne t’abandonne, ça prouve que tu es malsain·e opportunistes, combien d’actions concrètes engagées dans une guerre territoriale où les bouts de terrain étaient les amitiés de la victime qui commençait à se débattre ? Et c’est bien logique.
Nos amitiés sont des lieux de sécurité et de ressourcement, des lieux d’où nous sommes en mesure de faire un pas de côté, de regarder notre situation, d’obtenir des feedbacks – non, ce qui se produit là-bas n’est pas normal. Quand on veut renforcer son emprise sur une personne il est logique de couper ses lignes de ravitaillement et de la convaincre de son incapacité à en former de nouvelles.
Mais parfois les amitiés prennent fin d’elles-mêmes. Parfois nous et notre ami·e avons juste grandi dans des directions opposées, ou nous avons des besoins trop incompatibles, ou bien, ou bien.
L’image n’a rien à voir avec le texte mais je trouve cette frame de Sans Vouloir vous Déranger S2E6 beaucoup trop chouette.2
Et je crois que je suis reconnaissant·e à certaines de mes amitiés de s’être terminées de la sorte. Parce que les partenaires romantiques, les patrons et les parents n’ont pas le monopole de l’abus.
J’avais un·e ami·e avec qui tout s’est fini de façon normale. Nous nous sommes fait des reproches et avons trouvé ceux de l’autre injustes. Nous avons posté quelques rants sur nos réseaux sociaux respectifs. Nous nous sommes plaint·e·s auprès d’un·e ou deux ami·e·s commun·e·s. Et ce fut tout.
De temps en temps nous échangeons une information ou deux par SMS, parce que nous avons un passé commun et que nous avons besoin d’éléments qui s’y trouvent. Parfois même quelques nouvelles. Mais nous ne sommes plus ami·e·s.
Et c’est ok.
Je crois que je chéris un peu cette fin d’amitié (même si j’ai été triste), parce qu’elle m’offre un contraste avec ce qu’on s’est permis de me faire.
Un contraste avec ce type qui m’a ostracisé·e de tout un groupe d’ami·e·s parce que je ne quittais pas qui il me disait de quitter. Avec cette personne qui a juste arrêté de me parler du jour au lendemain parce que, dixit une tierce personne, il s’est passé des trucs, c’est les affaires de personne, y compris pas les miennes apparemment. Avec cette autre qui, à la fin annoncée de notre relation, s’est dit que la chose logique à faire c’était de prendre parti pour mon violeur tout en continuant à performer des talks féministes. Tous ces profils avaient en commun, je m’en rendrais compte plus tard, de m’avoir considéré·e comme leur faire-valoir.
Quand on a été victime d’abus, on a tendance à avoir, instinctivement, une plus forte tolérance à ce genre de choses, pourquoi pas après tout, on a vécu tellement pire. Mais nous méritons mieux. Nous ne méritons pas la perfection chez la totalité de nos ami·e·s parce que ça n’existe pas, nous ne méritons pas des relations éternelles chevauchant vers le soleil couchant, mais nous méritons d’être traité·e·s comme des personnes.
C’est pour ça que j’avais envie de parler de mon amitié qui s’est terminée normalement. Parce que c’est un rappel que c’est possible. Et que, si vos proches se mettent à vous détester au point de même refuser de vous dire ce que vous avez pu faire, le plus souvent3 ça parle d’elleux. Pas de vous.
Les fins n’ont pas besoin d’être graves. Parfois, elles sont juste une façon de faire de la place à d’autres débuts.
Et ce n’est pas une faute.
Pour une fois, je genre au neutre, parce que si j’inclus les parents abusifs dans ce groupe, le proportions de femmes devient malheureusement significative. Ce qui ne veut pas dire que les mères abusives le seraient si elles n’étaient pas elles-mêmes victimes par ailleurs. Mais, en tant qu’enfant maltraité·e, est-ce notre problème ? Hell nope.
Je voulais initialement mettre une capture d’écran de l’épisode 12 (où Estelle dit justement qu’elle a grandi dans une autre direction qu’un personnage, watch me m’auto-citer), et j’ai fini par me dire “oh well” et ce sera une justification suffisante. Car j’en ai décidé ainsi.
Sauf si vous avez vous-même été abusifve au point que ce soit dangereux de vous adresser la parole, mais dans ce cas que feriez-vous là ? Allez vous rendre à la police et plus vite que ça. (ACAB, nononbstant.)