Les écrivain·e·s pas en train d'écrire sont-iels vraiment écrivain·e·s ?
Une vraie question que certaines personnes se posent au premier degré
J’ai pris des vacances.
Je veux dire par là que, pendant une semaine, non seulement je ne me trouvais pas dans mon lieu de vie habituel, mais encore n’en ai-je pas profité pour écrire plus que d’habitude. À vrai dire, je n’ai pas vraiment écrit (sauf si un poème1 depuis l’arrière de la voiture compte, mais soyons honnêtes : pas suffisamment pour invalider mon propos. D’ailleurs, ça m’a rappelé que je suis aisément malade en voiture.)
Même, j’ai regardé des animés.
xxxHolic de Clamp, épisode je ne sais plus combien.2
Il me semble assez décisif d’admettre ici que j’ai passé la semaine à glander, d’autant qu’il y a quelques années j’aurais préféré me priver de thé plutôt que d’admettre avoir pu faire le choix de ne pas écrire quand j’en aurais eu le temps, et pire encore, de ne pas en avoir eu envie. Mais me voilà, une tasse de thé à la main parce que je l’ai mérité quoi qu’il en soit, à vous raconter que je n’ai été productifve en aucune façon3.
J’ai mis vraiment beaucoup de temps à admettre que je voulais écrire, encore davantage peut-être à oser dire que j’écrivais déjà. Un subtil, mais chargé, cocktail de syndrome de l’imposteur et du regard d’autrui ne m’a nullement aidé·e à me sentir écrivain·e de plein droit, bien sûr. Je n’avais pas fait les bonnes études, pas signé les bons contrats, pas utilisé les bons canaux de diffusion. Pas eu la bonne démarche non plus – qu’est-ce que c’était que cette idée de vouloir m’assurer de pouvoir imprimer L’Art de la Pose avant de l’avoir écrit ? Et la dévotion à l’Art, alors ?
Pour me dépêtrer de tout ce classisme latent, j’ai décidé4 d’associer l’identité à la pratique : j’écris des livres, je suis donc autrice. Que je sois un·e bon·ne ou un·e mauvais·e autrice restait une inconnue à ce stade, et d’ailleurs ça ne veut pas dire grand-chose de poser la question en ces termes. L’essentiel en tout cas, c’est-à-dire l’essentiel de ce à quoi je consacrais mon temps, avait été dit.
Mais alors que se passerait-il si pour une raison ou pour une autre je n’écrivais plus ?
Je ne suis pas seul·e là-dedans : quand des auteurices publié·e·s par des maisons traditionnelles doutent de pouvoir encore prétendre à ce titre parce qu’iels n’ont rien sorti depuis quelques années, quand d’autres attendent encore que quelqu’un leur tape sur l’épaule en leur disant que tout ça n’était qu’une blague, je me dis que soit le syndrome de l’imposteur est inhérent à chaque artiste, soit il y a peut-être un facteur environnemental qui pousse tant d’entre nous à nourrir ces pensées.
Quelque chose, par exemple, comme le capitalisme.
Je frémis quand je me surprends en train de mesurer ma valeur – d’humain·e, d’écrivain·e – au nombre de mots que j’écris par jour. Si le NaNoWriMo5 ne dure qu’un mois par an, c’est bien que nous avons besoin d’alterner les rythmes. Que nous ne pouvons pas être à 350% chaque jour. Sinon, nous brûlons.
De façon assez amusante, la raison pour laquelle j’ai eu besoin de ces vacances est la même que celle qui aurait pu me pousser à le cacher, à en avoir honte, à souhaiter “me rattraper”. Je suis une personne afab dans une société capitaliste, ce qui est forcément rude pour la santé mentale. Non seulement je baigne dans un environnement où la production de quelque chose de tangible c’est la loi, mais en plus je ne bénéficierai jamais de la présomption de compétence qu’on prête aux hommes cis-hétéro blancs. Je dois en faire dix fois plus, sauf que ce n’est pas possible.
Parce que les moments où je tape des mots sur mon ordinateur ne sont pas les seuls où je travaille. Et que je ne peux pas me passer des autres.
Quand nous créons, que nous sommes ici et maintenant en train de mettre des mots ou des traits sur du papier, de la peau ou tout autre support, c’est super. Mais pour créer, nous avons aussi besoin de ces moments “à vide”, de ceux où nous expérimentons les créations des autres, où nous nous promenons, échangeons avec autrui, dormons. Et vous le savez – vous le savez puisque c’est déjà le discours que vous tenez à vos ami·e·s, à celleux à qui vous voulez du bien.
Essayez de vous vouloir du bien, à vous aussi.
Tiens, je l’enverrai aux inscrit·e·s à la version payante de la newsletter de la semaine prochaine, vous aurez la backstory du poème, pour une fois.
J’ai découvert la version manga papier au lycée grâce à une amie qui s’inquiétait de me savoir seul·e à l’internat, une autre me l’a fait re-découvrir ce mois-ci. C’était bien, mais la question principale demeure : comment diable faisions-nous pour supporter le personnage de Watanuki ?
Ce qui est faux, puisque j’ai enchaîné la lecture de La Familia Grande (qui n’était pas pour moi), Sortir de l’hétéroxesualité (j’ai adoré) et de Liens de Sang (j’ai beaucoup aimé malgré un élément qui m’a fait tiquer et dont il m’est impossible de vous parler sans vous spoiler majeurement.) On y revient plus bas dans la lettre.
Avec de l’aide, beaucoup d’aide. Entourez-vous d’auteurices bienveillant·e·s, je vous assure, ça change la vie.
National November Writing Month, un événement pas du tout national mais international dont le but est d’écrire premier jet de roman de 50 000 mots. En réalité, on peut écrire ce qu’on veut.