Je vais vous avouer un truc.
Je regarde une série hyper-problématique en ce moment. Elle est même tellement problématique que je ne vous dirai pas son titre. Mais je n’arrive pas à m’arrêter de la regarder, à cause du jeu de l’acteur principal.
Pas à la voix - ça, c’est exagéré et je crois qu’il est assez mal dirigé (voir : cette série est problématique.) Mais assez souvent, il a des petits gestes, une façon de marcher, un tas de choses très subtiles en fait, qui sont extrêmement bien jouées.
L’acteur est neurotypique et on lui a demandé de jouer un personnage autiste1 - et quand je le regarde marcher, je me dis qu’il a bien travaillé, car sa façon de marcher ressemble à ma façon de marcher. Et ça m’hypnotise, car ma façon de marcher, on m’a toujours dit qu’elle n’avait pas sa place sur un écran de télé, ou une scène, ou même dans la vie.
Je l’y ai mise quand même. Du coup, on m’a insulté·e sur Internet et j’ai mis deux ans à oser supprimer les commentaires. Mais depuis que j’ai commencé cette série, je pense à ça - au fait qu’il faille demander à un acteur neurotypique de le faire pour que je voie quelque chose qui ressemble à mes mouvements sur un écran. Aux multiples profs de théâtre qui m’ont dit pas assez relaxé·e, trop surjoué·e et ainsi de suite même quand je leur présentais mon naturel.
Parce que mon naturel n’était pas une base de travail acceptable.
Parce que, quand tous les autres étaient sommés de partir de leur naturel pour construire dessus, on m’a assommé·e de directives sur la façon de jouer le rôle d’un personnage neurotypique, sans jamais le formuler ainsi. Je ne pouvais pas le savoir, à l’époque ; je masquais trop fort pour me rendre compte que j’étais sur le spectre.
Le masking, c’est une compétence que développent les personnes sur le spectre pour, le plus possible, agir et paraître comme des personnes neurotypiques, et ultimement, être moins discriminées. Ça ne marche qu’imparfaitement, et ça nous coûte une énergie monstrueuse. Et, apparemment, quand on est en école de théâtre, puisqu’on ne va pas [nous] apprendre à jouer alors que [nous ne savons] déjà pas marcher2, l’enseignement se résume à "masque plus fort, mais en étant sincère.”
Ce qui est drôle, c’est que si on m’avait foutu la paix juste un instant avec ma démarche, j’aurais pu la travailler, ma sincérité. Mais non, parce qu’en France les seuls personnages autistes autorisés sont ceux dont le seul trait de personnalité est d’être autiste.
Moi, entendons-nous bien, je m’en fiche. J’ai compris il y a longtemps qu’avec ces écoles, j’avais fait fausse route, que ce n’était pas ça, la façon dont je souhaitais raconter des histoires, et même si ça l’avait été, le PTSD a vite pris le relai pour me persuader de trouver autre chose. Mais je pense à toustes ces acteurices incroyables qu’on n’a jamais cessé d’écraser. Je veux dire, si un acteur neurotypique peut jouer assez bien pour que ça me tourne en tête depuis des jours, alors un·e acteurice sur le spectre peut sans doute même jouer un personnage neurotypique - si tant est qu’on admette que c’est quelque chose que l’on peut jouer, et pas une base neutre de “naturel”. Et surtout…, si le scénario n’a pas réfléchi en amont à qui est neurotypique et qui ne l’est pas, pourquoi partir du principe que tout le monde doit être neurotypique ?
Je vous écris tout ça un mois après avoir subi du harcèlement validiste et ça m’a procuré certaines émotions, ce sera mon excuse pour cette lettre un peu pêle-mêle.
Prenez soin de vous.
Écoutez, je ne vais pas le répéter à chaque fois. Cela dit, si le casting était le seul problème de cette série, je m’estimerais heureuxe.
Excellente méthode pédagogique. Je déconne, quel foutu enfer.