J’ai une méthodologie d’écriture étonnamment précise si l’on considère qu’elle est aussi inexistante. La première scène arrive avant le reste ; puis un peu du monde, et je continue à écrire, non pas au hasard, pas vraiment, mais à tâtons. Parfois, j’interromps des trajets pour me jeter dans le premier café venu et écrire frénétiquement la scène, l’enchaînement de phrases qui me sont venus. Ma conversation sur Messenger avec moi-même est pleine de vocaux rageurs qui finiront en passages d’un texte ou d’un autre. Il m’arrive de rencontrer un embranchement, et de faire des choix. Mais la plupart du temps je continue de ramper dans le noir, courbé·e sur mon clavier, jusqu’à ne plus savoir où je vais. Ou plutôt, jusqu’à réaliser que je n’ai jamais su où j’allais.
Là, il y a deux écoles, un embranchement dans la vie plutôt que sur le papier. Soit je brainstorme, soit je crée une feuille de calcul excel. Une ligne par personnage ou groupe de personnage, et c’est parti. Je prévois pas à pas ce qui se passe, et je reconstruis les ponts entre les scènes. Parfois je suis perdu·e et je ne sais plus quel âge ont mes personnages ou combien de générations se sont succédées depuis tel ou tel événement, et j’accroche une frise au mur en biais de mon bureau, et je m’y reporte tant que je n’ai pas appris ma leçon.
Ce n’est pas parce que c’est moi qui ai inventé l’histoire du monde que je me souviens de tout, désolé·e. Je ne me rappelle déjà pas ce que j’ai fait la semaine dernière…
Tout ça, bien sûr, c’est pendant le premier jet. La partie où on1 fait semblant de savoir ce qu’on faisait tout du long, c’est ensuite.
Bon. Il est important pour moi de continuer à me former, et j’ai la chance d’avoir un statut qui me permet des options en sus des livres d’écriture2 et des conférences retransmises sur Youtube3. Du coup, j’en profite, je le fais.
Déjà, la transversalité de tous ces enseignements me saute aux yeux et ça me met en joie. Autant, si vous savez écrire un film ou un roman vous n’êtes pas forcément à l’aise sur du jeu vidéo, autant quand vous passez deux ans à travailler sur un scénario de BD qui n’est ni plus ni moins qu’une sorte de mix entre un scénario et un découpage technique, je vous assure que vous prenez aussi du galon en écriture audiovisuelle. Ensuite, la diversité des méthodes et des points de départ est aussi, au moins pour moi, une diversité de projets.
Quand j’écrivais L’Art de la Pose, Anaël Verdier m’a conseillé de résumer chaque sous-partie sous la forme : une phrase, une idée. Et s’il y avait deux idées, c’était qu’il fallait encore scinder en sous-sous parties. Sur le coup, j’ai ronchonné, trouvé ça inutile et scolaire, pourtant deux semaines plus tard je peux vous dire que je livrais bien plus de mots à la semaine que je n’en avais écrit les trois mois précédents. Pendant la dernière formation que j’ai suivie, on m’a donné deux autres conseils4 contre-intuitifs pour moi : commencer par la fin et faire des fiches de personnages.
Je déteste les fiches de personnage. Au mieux, je note sur un document à part la couleur des yeux des personnages et leurs noms au fur et à mesure que je les invente pour éviter les contresens, mais franchement qu’est-ce qu’on s’en fout de savoir quel est leur parfum de smoothie préféré, non ? Néanmoins, j’ai tenté pour l’expérience une structure différente de fiches de personnages (sans parfums de smoothies) à la fin du premier jet du Clerc et le Cerf5, et j’ai vu apparaître les scènes manquantes comme des constellations devant mes yeux. C’était plutôt impressionnant.
Sur Sans Vouloir vous Déranger (le roman, pas la websérie), j’ai quasiment suivi le conseil de commencez par la fin : cette suite était prévue pour être filmée, alors tout est soigneusement séquencé, de sorte que je l’écris presque aussi vite qu’un chapitre de L’Art de la Pose post-conseil d’Anaël.
Tout ça explique mon air perdu quand on me demande comment j’ai procédé pour ceci ou cela ; la seule chose que je fais systématiquement, c’est aborder les sujets des appels à nouvelles et des quelques commandes qu’on m’a passées en ce sens comme… des sujets de dissertation de philo. Ce qui est un très mauvais conseil à donner, les romans n’étant pas censés être des dissertations de philo, mais tout de même certains réflexes sont bien utiles pour développer des thématiques.
Je dis tout cela, je crois, parce que si je me suis parfois arc-bouté·e à ma persona de jardinier·e, me disant trop bête pour faire oeuvre d’architecte, c’était aussi par angoisse : angoisse de perdre l’inspiration, angoisse de m’écarter de ce qui marchait pour moi, angoisse de corrompre ma balbutiante identité d’autrice avec les méthodes des autres.
Eh bien, ai-je décidé, pour le prochain texte6, je vais tenter autre chose. Et peut-être que ça ratera, peut-être que ce sera incroyable et excitant et frénétique. En tout cas, je me fais assez confiance maintenant pour savoir que changer d’approche en cours de route ne signifiera pas abandonner l’idée. Qui me dit que “ma méthode” actuelle n’est pas une version sous-optimale de ce qui conviendrait le mieux à mon cerveau ?
Après tout, ça ne fait pas si longtemps qu’on apprend à se connaître, lui et moi.
En notant que on, dans le contexte de cette phrase, c’est je. Vous avez tout à fait le droit de fonctionner autrement. J’éprouve une admiration divine pour les gens capables de produire un outline de textes de fiction longs avant de les écrire.
Mes conseils, sur les livres d’écriture que j’ai déjà lus : Still Writing de Dani Shapiro, Bird by Bird d’Anne Lamott, et Turning Pro de Steven Pressfield m’ont beaucoup apporté. Également, certaines lettres présentes dans Dear Senthuran d’Akwaeke Emezi m’ont été très précieuses. Et, oui, je vais lire le Stephen King et le John Truby. Laissez-moi.
En ce moment je binge ce semestre de cours par Brandon Sanderson sur YouTube, après une recommandation de Cécile Duquenne dans sa propre newsletter, ça parle d’écrire de la SFFF et c’est bien.
On m’a donné plus de deux conseils, si ça vous intéresse c’était la formation Écrire des personnages puissants au service du scénario de la structure Scénario au Long Court, on partage les tips ici, on est comme ça.
Je ricane intérieurement parce que je vous donne les titres de travail de manuscrits qui ne sont même pas encore en soumission, donc si ça se trouve ils ne sortiront jamais, ou bien ils sortiront mais sous d’autres titres, et dans dix ans peut-être que vous me direz : “BON et Le Clerc et le Cerf, ça en est où, tu prends ton temps non, un peu ?”
Je suis totalement en train de taire le titre de travail de ce texte à dessein, car soyons clairs : je ne sais pas lequel de mes Projets À L’État De Pitch je choisirai pour cette expérimentation.
Le yolo, mais structuré.