Des années et des années, je ne me suis senti·e chez moi nulle part. Ça tient, bien sûr, à des facteurs aussi triviaux que la qualité des logements qu’on peut trouver lorsqu’on est étudiant·e, et à l’organisation spatiale de la plupart des villes. Difficile de se sentir chez soi quand rares sont les espaces où l’on peut simplement exister sans avoir à dépenser de l’argent. Et puis, on ne va pas se mentir, le fait d’avoir su, toute mon enfance que chez moi équivalait à danger n’a pas dû aider.
Alors, mes premières années de liberté, j’ai reconstruit quelque chose en me déplaçant sans arrêt. Je définissais l’endroit où je me sentais chez moi comme suit :
L’endroit où je pose les pieds et le regard pour la première fois.
Heureusement, il y a davantage d’endroits qui existent que je ne pourrais en visiter avant de mourir, cette conception n’équivalait donc pas à une auto-condamnation à ne jamais trouver ma place. On pourrait discuter le bilan carbone d’une telle vision de la vie, et on aurait raison. Je me défendrais sans doute en disant que je préfère faire du stop, ce qui est vrai. Mais de toute manière, ma façon de vivre tout cela a un peu évolué.
Si j’aime toujours autant arriver, j’ai développer un goût pour le fait de revenir. Réactiver les doux souvenirs, panser les plaies qui doivent l’être. La familiarité, le sentiment de retour et donc, ultimement de chez soi que, maintenant que je l’expérimente, je peux différencier de l’espoir qui m’envahit dans chaque nouvelle gare / ville / bretelle d’autoroute.
Il y a les chemins que je connais sans avoir à le vérifier, les ruelles où je sais ce que je trouverai, le coeur qui se gonfle de joie pourtant en le trouvant. La ligne d’une crête et les couleurs des genêts, les souvenirs qui se superposent les uns aux autres. L’odeur de l’air et des croissants - le coin du salon de thé où je me rencogne une nouvelle fois, comme si je n’étais jamais parti·e. Le simple sentiment d’être à ma place - d’en avoir une, et même plusieurs.
Alors, oui, en vieillissant je crois que je développe ce goût du retour. Non pas que la découverte ait quitté mon coeur, non. Mais j’ai envie de construire et pas seulement de voir. J’ai envie de découvrir quelles sont mes habitudes ici ou là, que ce soit en y restant longtemps ou en y revenant. J’ai envie de me faire des ami·e·s qui me proposeront un job à la maison de thé - et de considérer sérieusement cette option.
Je n’ai pas envie du deuil, mais je crois que je ne peux pas faire sans. Je crois qu’on ne peut pas construire une maison si on n’y a pas un peu souffert - même du fait de l’extérieur. Parce que comment se réfugie-t-on si on n’a rien à fuir, rien dont guérir ?
Désormais il y a des endroits où j’aurais voulu revenir plus tôt, et des lieux qui sont marqués de ce que je n’y ai pas subi.
Je voudrais revenir, et prendre un tie guan yin à la santé des vieux amis. Son goût serait différent, parce que le lieu ne serait jamais le même sans eux. Mais ce serait quand même le bon lieu. Ce serait quand même un retour.
La joie simple et chaude de la familiarité. De reconnaitre et connaitre.
Mais <3 Oui.